dimanche 12 février 2012

chapitre 1 : Où l'on voit P et B rencontrer Pôle Emploi


I
Où l'on voit P et B rencontrer Pôle Emploi

B, le café à la main et la cigarette à la bouche entendit le facteur faire son demi-tour dans la cour. Elle attendit qu'il soit vraiment parti pour aller chercher le courrier, sa tenue matinale ne souffrant aucun spectateur. Elle retira l'enveloppe de la boite avec déception. Pôle Emploi. C'est à dire la fusion miraculeuse entre l'ANPE et les ASSEDIC. B avait déjà vécu quelques aventures, il y avait de cela des années, entre le bureau des ASSSEDIC et celui de l'ANPE. Cela avait été moralement fatiguant, nerveusement éprouvant. L' union des deux bureaux faciliterait les démarches. La cigarette allumée et le café bu, B s'assit en culotte sur les marches pour déchirer l'enveloppe. Elle lut. Elle relut. Elle posa la feuille et termina sa cigarette. Elle lut à nouveau. Elle se leva, écrasa la cigarette, mit la tasse dans l'évier et empoigna son téléphone portable :
« Allô P? Tu veux bien venir boire un café? J'ai des soucis. »
« Quels soucis? »
« J'ai reçu une lettre de Pôle Emploi »
« J'arrive tout de suite »
Un peu affligée, B s'effondra dans son canapé pour se couper les ongles de pieds. Au 4éme orteil du pied droit, son téléphone portable sonna :
« Allo B? Il vaudrait mieux que tu viennes, parce que c'est ma voiture j'ai laissé l'autoradio, tu peux venir avec des pinces, tu as des pinces? N'oublie pas la lettre »
« Des pinces? »
« Ben oui tu sais pour redémarrer...
Pendant que B cherchait dans l'antre où étaient « rangés » ses habits, cherchant quoi enfiler par dessus sa culotte, son téléphone portable sonna.
Allo B? Est-ce que tu peux prendre l'épilateur s'il te plait, je n'ai plus de cire et ma gauche n'est pas faite? » B enfila sa deuxième chaussette, prit l'épilateur, les pinces, et sa voiture.


B a foncé chez P qui l'attendait avec du thé. Elles ont bu ce thé, c'était le mélange des moines de la montagne, P l'avait acheté la veille. Et elle expliqua à B que justement dans ce magasin il y avait un ouvrage ancien sur les dieux celtes et décrivit dans les détails les étagères de l'échoppe. Et B se souvint de la légende qu'elle venait de trouver et elle la raconta. Elles s'extasièrent ensuite sur les personnages, l'intrigue, la symbolique. Puis P fit découvrir à B le morceau de The Hives qu'elle avait écouté en boucle le matin et repassa l'intro 5 fois à cause du petit riff de guitare aux consonances asiatiques se dirent-elles. Elles se mirent à fouiller dans les disques de P....
Plus tard, bien plus tard, P raccompagna B à sa voiture et elles se souvinrent qu'il fallait redémarrer celle de P.
Puis :
« hhann , la lettre »
« bon ben on a plus l'temps »
De toutes façons, B avait oublié la lettre.
Elles prirent rendez-vous pour le lendemain.

Le lendemain matin P gara sa voiture à 9h pile et elle lurent la lettre, en buvant du café.
Le langage leur parut assez mystérieux. Elles cherchèrent quelques mots dans le dictionnaire et discutèrent des possibilités. Elles s'accordèrent sur une traduction : il s'avéra que B était convoquée ce jour même.

Le rendez-vous étant fixé, sans concertation entre l'administration et l'administrée, à 10h15, il fallait se dépêcher.


Elles se resservirent un café pour le boire en route.
B eut tout juste le temps de se brosser les dents, enfiler ses lentilles et un pantalon sans trou puis fouilla les alentours à la recherche de son sac-à-main pendant que P s’occupait de la musique. Pour un rendez-vous matinal à la sous-préfecture d’à côté: Yello et Tuxedomoon. Elles sautèrent dans la voiture de P.
Le moteur ronflant, le pot d’échapement pétant, elles foncèrent sur les petites routes de campagne pour rejoindre la sous-préfecture. P se gara en panse de vache sur la place de la bibliothèque et du Pôle Emploi. Elles entrèrent dans le sanctuaire.
Vas-y, c’est là que tu dois t’adresser à mon avis”. Effectivement, il y avait là un panneau sur lequel de joyeuses lettres pansues rouges et jaunes indiquaient un riant “accueil”. P s’avança décidée, suivie de B méfiante. Sous le panneau, un comptoir où étaient disposés rigoureusement des fascicules attrayants:
Votre déclaration mensuelle”
Vos heures supplémentaires”
Votre contrat en dix lignes claires”
Nous vous accompagnons dans votre retour à l’emploi”
Engagez-vous dans la gendarmerie”,
Oh! J’ai reçu le même!” s’écria P joyeusement.
Un ordinateur, un siège rouge à roulettes. Vide.
Il faut attendre” dit B en attaquant son ongle de l’index gauche. Elles visitèrent un peu, puis revinrent. Une femme tout en sourire scotché se tenait au-dessus du comptoir. La lettre à la main, B s’y dirigea d’un pas lent : il est toujours difficile de s’adresser à quelqu’un qu’on ne connaît pas surtout quand on ne sait pas trop quoi lui dire.
Bonjour. Et bien j’ai rendez-vous à 10 heures 15”
Il faut prendre un ticket” l’interrompit la souriante.
Un ticket? Heu, comment ça un ticket?”
Un ticket à la borne que vous voyez derrière vous”. Coupée dans son élan, B balbutia: “Un ticket heu comme à la boucherie?”
C’est pour comptabiliser et pour pas que les gens fassent n’importe quoi”
Mais heu, je suis toute seule”
Il faut prendre un ticket”.
Un tout petit peu excédée, B se dirigea vers la borne. P l’avait précédée et lui tendait une bande de numéros, de 47 à 54. Le 47 s’affichant, B s’avança.
Bonjour. Et bien j’ai rendez-vous à 10 heures 15, je les mets où les tickets?”
Vous me les donnez. Vous aviez rendez-vous à 10 heures 15, il est 10 heures 24” dit sèchement la souriante.
Et bien, c’est-à-dire que je n’habite pas à côté...”
Monsieur Zouriste va vous recevoir, allez patienter dans la salle d’attente” l’interrompit pour la seconde fois sourire scotché.
B et P allèrent donc patienter dans la salle d’attente.
Elles étudièrent le fascicule de la gendarmerie, les fausses plantes vertes, les paravents en plastique, la peinture grise, la taille des ongles de B qui ne les mangeait plus, les cheveux blancs de P. A 10 heures 54, un monsieur tout en sourire annonça: “Mademoiselle B” et fut un peu troublé lorsque les deux femmes lui passèrent devant pour entrer dans le bureau qu’il désignait de sa main tendue.
Pensant que son amie était entre de bonnes mains, P abandonna B à la compétence rigoureuse mais cependant débonnaire de Monsieur Zouriste, et sortit du sac-à-main de B “Demande à la poussière”. Quand même et malgré la qualité de l’ouvrage, elle ne pouvait s’empêcher de jeter des regards plein d'empathie dans la direction de B et de Monsieur Zouriste. B avait terminé les ongles de sa main gauche et attaquait la droite. On voyait qu’elle suait pendant que Monsieur Zouriste expliquait patiemment quelque chose qu’apparemment B peinait à suivre. P décida soudain d’abandonner “Demande à la poussière” car la nervosité de B gagnant l’aimable fonctionnaire, la voix de Monsieur Zouriste commençait à monter en pics d’agacement qu’il tentait de maîtriser devant l'évidente difficulté de B ; qu’on ne pouvait en aucun cas attribuer à de la mauvaise volonté. D’ailleurs, Monsieur Zouriste adressait de temps en temps des coups d’oeil que P interpréta finalement comme un appel au secours. Pendant que B étalait sur le bureau une série de relevés de banque, un disque des Undertones, un gant dépareillé, un livre de contes japonais, des pièces russes, un sécateur qui lui arracha un “Oh!” de joie teinté de surprise, une serviette hygiénique accompagnée de quelques préservatifs, un verre de lunettes de soleil qu’elle inspecta avec attention comme si elle se demandait d’où il pouvait être tombé, des Ricolas au citron, bref, le contenu de son sac-à-main qu’on ne va pas détailler ici, ce serait trop long.
P finit par demander gentiment à Monsieur Zouriste comment B pourrait bien fournir une attestation de demandeuse d’emploi étant donné qu’apparemment selon la lettre, l’objet de sa convocation était sa radiation. Monsieur Zouriste eut l’air ennuyé puis il se ressaisit et composa un numéro de téléphone. Au même moment une sonnerie se fit entendre dans le bureau d'à côté et les deux fonctionnaires échangèrent quelques répliques. Puis Mr Zouriste proposa à B de passer dans le bureau de son collègue en lui tendant aimablement le sécateur.
Monsieur Ravize, lui aussi, attendait en souriant et fut un peu troublé lorsqu’il vit entrer les deux femmes. P se replongea quelques instants dans “Demande à la poussière” mais lorsqu’elle s’avisa que B tapotait nerveusement le bureau à en faire trembler les pots de stylos, elle ferma le livre et écouta attentivement.
Mais oui Mademoiselle, vous avez été radiée en tant que demandeur d’emploi il y a un an. C’est écrit dans votre dossier” dit-il en se concentrant sur l’écran de son ordinateur. “Oui. Mais pourquoi?” dit B entre ses dents. La cigarette étant interdite dans les lieux publics, P lui tendit un chewing-gum.
Ah mais ça Mademoiselle, je ne sais pas. C’est à vous de nous le dire”
Et bien justement, je ne le sais pas et j’aimerais aussi savoir pourquoi je n’ai pas été prévenue”
Ah mais ça Mademoiselle, c’est impossible. Vous avez forcément été prévenue. »
Non”
Vous n’avez peut-être pas fait attention”
J’ai fait attention”
Allons Mademoiselle, ne le prenez pas comme ça, il vous suffit de vous réinscrire”
Et bien allons-y”.
Non, non. Il faut téléphoner”
Pardon?”
Les inscriptions se font par téléphone, c’est comme ça”.
P tendit un deuxième chewing-gum à B. Rouge et les larmes aux yeux, B attrapa le téléphone sur le bureau de Monsieur Ravize qui souriait encore un peu.
Faîtes-moi le numéro”.
Un peu tendu, Monsieur Ravize effectua l’opération. Le combiné collé à l’oreille, B patienta, tous patientèrent et B déclara finalement: “Bordel”
Oui?” interrogea Monsieur Ravize
C’est tout occupé, faut rapeller demain”.
Monsieur Ravize essaya un dernier sourire et, finaud, déclara: “Et bien nous allons tenter de le faire par le biais de l’informatique”.
B, de plus en plus décomposée, pratiquement soutenue par P, suivit Monsieur Ravize dans le hall d’entrée.

Mr Ravize se pencha sur l'un des nombreux ordinateurs de bord du centre Pôle Emploi. La souriante de l'accueil s'approcha à petits pas “Bon alors, cliquons là dessus” dit Mr Ravize d'un ton enjoué. B continuait à observer son verre de lunettes de soleil et demandait à P si ça ne pouvait pas être à elle, lorsque soudain la souriante s'écria : “Ah mais non. Elle n'a pas le droit”
B laissa tomber le verre de lunettes que P s'empressa de chercher à quatre pattes derrière les plantes en plastique.
Non, non, non, elle n'a pas le droit de se réinscrire”
Ah bon? Vous êtes sûre?” bredouilla Mr Ravize “Mais il me semblait pourtant, que les personnes sous contrat aidé...”
Non non non, elle n'a pas le droit” criait toujours la souriante qui ne souriait plus.
ça ne sert à rien d'anticiper, mademoiselle”
ça ne sert à rien d'anticiper” répéta machinalement B qui se baissa, poussa un grand coup le pot de plantes vertes en plastique derrière lequel était coincé le verre de lunettes de soleil que P cherchait désespérément à atteindre.
Et bien n'anticipons pas. Je ne suis plus demandeuse, d'emploi. Tu viens P, on se tire, il faut que je fume des cigarettes”
La plante verte vacilla et tomba.

Etant donné que l'administration ne pouvait plus rien pour la pauvre B, que la bibliothèque était fermée et que P et B avaient quand même fait 27 km pour apprendre que tout cela, depuis la lecture de la lettre, et jusqu'à cette ultime constatation, avait été inutile, P et B tinrent conseil dans la voiture en écoutant Tuxedomoon à fond. La voiture s'emplit de fumée et on en était à la plage 12 lorsqu'elles claquèrent les portes d'un air décidé et se dirigèrent vers “Le dragon d'or”. Elles avaient résolu de manger des rouleaux de printemps en attendant la réouverture de la bibliothèque.




jeudi 2 février 2012


Vous allez rencontrer deux jeunes femmes exceptionnelles : B et P.
Chaque mois, autour du 15, on peut lire ici le dernier chapitre de leur roman.
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