jeudi 25 juillet 2013


"Et si..." 3


Il y a un peu de vent dans les premiers bourgeons et encore quelques virages glissants de verglas.
Vous traversez comme très souvent ce bled et vous savez qu'à trois reprises il faudra ralentir, puis rouler au pas sur cinquante mètres car une stupide masse à poils se jettera sur la voiture.
Vous n'êtes pas de bonne humeur. Vous n'avez pas envie d'être en retard, d'ailleurs vous n'aimez pas les chiens. Et voilà le premier. Il attend au milieu de la route. Et c'est parti, il vous assourdit en montrant les dents et en faisant mine d'attaquer la voiture. Et voilà le deuxième. Vous éteignez l'autoradio parce que vous ne l'entendez plus. Celui-ci, en plus, a les poils longs et mérite juste un bain. Et voilà le troisième, que son propriétaire fait mollement mine de rappeler. Vous regardez la ligne d'horizon.
Et si ...
Et si vous accélériez, droit dessus. Vous descendriez ensuite de la voiture, pour dire au propriétaire :
« Ben voilà, bien fait. On le pleurera pas celui là. Allez ça va vous faire du bien. Qu'est-ce que c'est que ces manières de s'aliéner ces bestioles puantes et débiles ? Allez, allez, faites vous des amis humains, ça vous changera. »
Hein ?
Non, ce serait mal.



jeudi 18 juillet 2013

"Et si..." 2


Vous faites la queue devant la caisse d’un Emmaüs, ravie d’avoir trouvé un vinyle des Stranglers. Lorsque vous voyez arriver sur votre droite un duo bleu marine et blanc composé d’une femme quarantenaire arborant un joli serre-tête donnant le bras à une femme aux cheveux blancs et collier de perles. Pendant que vous farfouillez dans votre poche pour en extirper le ticket car c’est votre tour, vous entendez : “ Venez Bonne-Maman “ et vous vous retrouvez éjectée sans plus de façons sur le côté tandis que Bonne-Maman vous laboure les pieds et que la bru entame à la caisse un marchandage honteux à propos d’un service en porcelaine. Vous regardez votre ticket.
Et si ...
Et si vous retourniez la bru en poussant négligemment Bonne-Maman dans un buffet Henri 2, que vous lui arrachiez le serre-tête puis que vous le cassiez en petits morceaux en lui soufflant dans le nez : “ Alors les mémères, on vient faire la charité en négociant aux Emmaüs et on en oublie la plus élémentaire des courtoisies ? “ et qu’ensuite vous braillez à la ronde : “ Deux vieux tableaux à accrocher dans vos toilettes pour faire peur à vos invités, un euro le lot.”
Hein ?
Non. ça serait mal. 

jeudi 11 juillet 2013

"ET SI..." la récréation de l'été

Chaque semaine, cet été, en attendant le retour de B et P, vous pourrez lire un "Et si..."


"Et si..." 1


Vous discutez tranquillement avec une amie en terrasse. Une connaissance commune vient à passer, un type que vous appréciez peu à cause de son penchant pour les lieux communs. Vous êtes toujours restée aimable car il est réellement gentil, et paraît inoffensif. Sans prévenir le type se met soudain à déverser cordialement son point de vue sur la féminité qui consiste en une guirlande de scintillants clichés : une femme se doit d'avoir l'air fragile, c'est là que réside sa féminité. C'est bien qu'elle soit forte, mais il ne faut pas que ça se voit. La force apparente c'est masculin, le féminin c'est la douceur.
« C'est original comme point de vue... » commencez-vous, dubitative mais aimable.
« Je ne suis pas le seul à le penser ! » Assène le type, péremptoire. «  Renseigne-toi un peu, tu verras que les hommes virils aiment protéger et les femmes féminines être protégées »
Vous observez la pointe de la chaussure de votre amie qui, elle, étudie attentivement le manche de sa petite cuillère.
Et si ?
Et si vous vous leviez pour prendre l'abruti par le col et l'expulser de votre territoire ?
« Et alors inculte connard rétrograde, je suis faible là ? Ça te fait pas bander ? C'est parce que des milliers d'autres connards mous du bulbe trimballent leurs sexisme dans un hygiaphone que vous avez tous raison ? A une époque tout le monde pensait que la Terre était plate. Ça l'a rendue plate crétin ? Tu ne crois pas qu'au fond vous êtes surtout nombreux à flipper de votre propre faiblesse ? Allez va t'acheter des neurones d'occasion et mets les au boulot au lieu de claironner des clichés en terrasse... »
Hein?
Non. Ce serait mal.

lundi 1 juillet 2013

CHAPITRE XI

Où l'on voit B et P renoncer à une carrière politique


C'était au temps de leur seconde cohabitation, au bout du chemin de terre du bout d'un petit village. B occupait un emploi toute la journée, P un mi-temps. Elle ne travaillait que l’après-midi et mettait un point d'honneur à occuper une partie de sa matinée aux tâches du quotidien.
Le lundi soir, B entra dans la cuisine chargée de sacs de courses. Jetant un coup d’œil sur la table, elle s'exclama : « Tiens, une facture d'électricité. J'ai l'impression qu'on n'a que ça en ce moment. »
Le mardi soir, B entra dans la salle avec un panier rempli de livres : « Je suis passée à la librairie. Tu sais, j'ai l'impression que la voisine me regarde d'un drôle d'air. »
Le mercredi soir, B entra dans le vestibule avec une boîte d’œufs : « Si on faisait des crêpes ? Tu sais, il est spécial le voisin, on dirait qu'il m'évite. »
Le jeudi soir, B entra dans la salle d'eau avec un nain de jardin : « Tu ne devineras jamais, je l'ai trouvé dans une poubelle. Tu sais, la vieille d'en face, elle empêche son petit fils de me faire coucou maintenant. »
Le vendredi soir, B entra dans le grenier avec une bouteille de Fleurie : « Allez ! Si on fêtait notre collaboration ? Tu sais, le voisin d'à côté secoue la tête en me regardant passer à présent. J'ai l'impression qu'ils sont tous fous dans ce village. »
Le samedi matin, B, qui s'en revenait du camion du boulanger très perturbée par le fait qu'on avait fermé des volets à son passage dans la rue, retrouva P qui prenait le café dans la courette.
« Je ne comprends pas l'attitude du voisinage. On n'a pas fait de bruit pourtant. C'est étrange. 
Puis, voyant que le visage de P se colorait petit à petit :
- Tu n'as pas fait, heu, des trucs bizarres ces temps-ci ? 
P se défendit agressivement :
- Comme quoi je te prie ? 
- Eh bien, je ne sais pas, te balader avec ta robe à paillettes ou mettre les Sex Pisols à fond par exemple.
- Je ne suis pas une adolescente attardée si c'est ce que tu veux dire.
- Oh je t'en prie, ne le prends pas comme ça. »
S'effrayant toutes deux du ton qui était monté malgré elles, elles se turent, toussotèrent, puis se resservir mutuellement du café.
« Il va faire beau aujourd'hui.
- Oui. Tiens, j'entends le facteur. »
Ce fut à ce moment comme si le ciel s'écrasait dans la courette de leur maison, comme si le temps tremblait, comme si chaque chose prenait une importance considérable. P se leva vivement. Puis se rassit. Puis se releva. Puis se rassit.
« Bouge pas j'y vais, claironna B.
- Non. » hurla P.
B se rassit lentement, sans quitter P du regard. Puis elle remua son café qu'elle ne sucrait jamais. Le tintement de la petite cuillère contre la porcelaine devint rapidement insupportable.
« On a tout le temps d'aller chercher le courrier » finit par articuler péniblement P.
B, songeuse, roulait sa cigarette. Puis elle l'alluma. Puis elle fuma. Tout en tapotant d'un air désintéressé sa cendre au-dessus du bocal de confiture, elle demanda doucement :
« Quelque chose ne va pas ? Tu veux qu'on en parle ? »
Cette perche tendue eut pour avantage de faire céder le barrage de sanglots retenus chez P.
« Mais que se passe-t-il ? bégaya B. Ne me cache rien, qu'est-ce que tu as fait ?
- Mais rien ! » hurla P en s'enfuyant dans la grange.
Un quart d'heure passa. B, immobile, assise à la table du jardin, fumait dans un abîme de perplexité. Elle se décida à aller frapper à la porte de la grange.
« Je ne comprends rien à ce qui se passe. Dis-moi quelque chose, éclaire-moi un peu. »
Depuis la grange, B aperçut le facteur garé un peu plus loin qui fumait une cigarette, tout seul, appuyé sur son coffre. Il avait l'air d'attendre quelqu'un. Devant le mutisme de P, elle retourna s'asseoir. Au bout d'un moment la porte de la grange s'ouvrit lentement. P en sortit. B laissa tomber sa cigarette dans la confiture. P portait un vieux sweat dont elle avait remonté la capuche. Des gants de chantier scotchés au gaffer sur les manches. Un foulard qui lui couvrait le nez et la bouche. Et par-dessus tout ça, devant les yeux, la grille de protection de la débroussailleuse.
« Faferayen quechesplique, chais monter. 
- Hein ? Pardon ?
- Ien oi.
- Je ne comprends rien, je vais pas tarder à flipper, fais un effort. »
P baissa le foulard sur son menton :
« Y'a un truc qui pique dans la boîte aux lettres. Mais surtout ne panique pas, j'ai trouvé la solution. »
Et elle se dirigea sans plus tarder jusqu'à la dite boîte aux lettres pour en extirper à l'aide d'un tisonnier une facture de téléphone. B, penchée, suivait attentivement le cours des opérations et aperçut de loin le facteur qui s'esclaffait.
P revint jusqu'à la table de jardin accompagnée de cinq abeilles qui se ruèrent sur le bocal de confiture. Soulagée, B dit tranquillement :
« Il doit y avoir un nid.
- C'est plus que probable » répondit P en soulevant la grille qui cachait sa figure. Puis se tournant vers la voisine qui l'observait par-dessus le muret, elle effectua un gracieux bras d'honneur.
« Ça ne va pas faire remonter notre cote de popularité dans le village, nota B en resservant du café.

- On s'en fout, on comptait pas se présenter aux élections municipales » répondit P.